CREATIONS DE L’ESPRIT : SIMPLES FORMALITES, LARGE PROTECTION

Les tissus sont fabriqués pour la plupart à partir de la même matière : le coton. Mais ce qui fait que l’on préfère acheter tel tissu plutôt que tel autre, c’est, outre les préoccupations liées aux moyens financiers dont on dispose, la qualité mais surtout les motifs du tissu. De même, les téléphones portables sont fabriqués presque à partir des mêmes composants. Mais si l’on préfère tel téléphone à tel autre, c’est parce qu’en plus des fonctionnalités qu’il comporte et de son coût, on est attiré par le nom ou le signe que son fabricant y a apposé ou encore par sa forme.

Il existe plusieurs autres exemples de ces objets du quotidien qui attirent les consommateurs pour ces différentes raisons et les fabricants en sont conscients. Aussi, investissent-ils énormément dans la création de formes ou de signes susceptibles de rallier le plus grand nombre, sans que cela ne soit forcément le gage de la bonne qualité de leurs produits. Toutefois, ces investissements sont parfois mis à rude épreuve dans un environnement concurrentiel. En effet, les produits qui ont la côte auprès des consommateurs sont simplement copiés par des concurrents qui profitent ainsi des investissements d’autrui. C’est pourquoi la loi vient au secours des créateurs en prévoyant des dispositions permettant de leur garantir la jouissance exclusive de leurs créations. Mais au-delà des moyens matériels et financiers investis en vue de fabriquer des produits qui se distinguent des autres, c’est l’effort de l’esprit humain qui génère la création qui est protégé.

Tel est l’objet du droit de la propriété intellectuelle et particulièrement, du droit de la propriété industrielle qui régit un certain nombre d’objets dont les signes utilisés pour distinguer les produits ou services de ceux des concurrents (marques de produits ou de services) ainsi que les assemblages de couleurs ou de lignes (dessins) ou les formes conférant une apparence spéciale (modèles) à un produit industriel ou artisanal. Plusieurs marques bénéficient d’une renommée quasi mondiale et se réfèrent à des produits ou services variés. Quant aux dessins, on en rencontre au quotidien dans l’industrie textile par exemple à travers les motifs des tissus. Les modèles pour leur part sont assez diversifiés mais on peut citer par exemple la forme d’une bouteille d’eau minérale, le design d’une voiture ou d’un téléphone portable, etc.

Toutes ces créations peuvent faire l’objet d’une protection spécifique. Mais contrairement à ce qui se passe en matière de propriété littéraire et artistique, la protection des créations industrielles n’est pas automatique. Ainsi, celui qui entend jouir d’un monopole dans l’exploitation d’une marque de produit ou de service ou d’un dessin ou modèle industriels doit, avant tout, procéder à la réservation en son nom de l’objet en question. Cela s’entend des formalités d’enregistrement de ladite création. C’est bien l’enregistrement qui confère, entre autres au créateur, l’exclusivité dans l’exploitation de sa marque ou de son dessin ou modèle. Celui-ci dispose de ce fait également du droit d’interdire aux tiers l’utilisation de sa création sans son autorisation préalable.

Pour pouvoir se prévaloir de tels droits au Togo, il faut, au préalable, enregistrer sa création auprès de l’Organisation Africaine de la Propriété Intellectuelle (OAPI) dont le siège se trouve à Yaoundé (Cameroun). L’enregistrement peut se faire à Lomé (capitale du Togo) par le canal de l’Institut National de la Propriété Industrielle et de la Technologie (INPIT) qui est le répondant au plan national de l’OAPI. Cette formalité peut être accomplie avec ou sans l’assistance d’un mandataire agréé pour ce faire. Lorsque la création est valablement enregistrée, elle est protégée non seulement au Togo, mais aussi sur les territoires des seize (16) autres États africains, membres de l’OAPI à savoir dans l’ordre alphabétique : Bénin, Burkina Faso, Cameroun, Centrafrique, Comores, Congo, Côte d’Ivoire, Gabon, Guinée, Guinée Bissau, Guinée Equatoriale, Mali, Mauritanie, Niger, Sénégal et le Tchad. Pour n’avoir pas su s’y prendre comme tel, certaines revendeuses de tissus (les fameuses « Nana Benz » dont la renommée va au-delà des frontières du Togo) ont été ruinées du fait de la concurrence des tissus fabriqués avec les mêmes motifs que ceux qu’elles ont créés.

L’un des droits par excellence que confère l’enregistrement est celui d’agir en justice pour faire sanctionner les atteintes à l’exclusivité dans l’exploitation de la création. L’action intentée en pareille circonstance est dénommée « action en contrefaçon ». Elle peut emprunter aussi bien la voie civile que la voie pénale. Dans l’un et l’autre cas, la juridiction à saisir reste au Togo le tribunal de commerce ou le tribunal de grande instance/tribunal d’instance.

L’action peut être intentée lorsque l’exploitation porte sur des créations identiques ou similaires à celle qui est protégé. Ainsi, on ne peut pas faire l’économie d’un procès pour contrefaçon lorsqu’on exploite sans son autorisation la création d’autrui. Tel sera le cas par exemple lorsqu’on fabrique des boissons à base des produits locaux qu’on conditionne dans des bouteilles marquées du signe de la célèbre boisson gazeuse de renommée internationale ou portant des signes similaires. Il en sera de même lorsqu’on fabrique des tissus aux motifs identiques ou semblables à ceux des fameux tissus produits par la firme hollandaise bien connue.

Par ailleurs, le fait que le droit d’agir en contrefaçon soit l’apanage du créateur qui a procédé à l’enregistrement de sa création ne signifie pas qu’on peut exploiter impunément les créations non enregistrées d’autrui. En effet, même lorsqu’il a omis de procéder à l’enregistrement de sa création, le créateur peut poursuivre en justice les auteurs d’exploitations illicites au moyen de « l’action en concurrence déloyale ». Toutefois, cette voie est délicate à emprunter car l’action en concurrence déloyale répond aux conditions de l’action en responsabilité civile de droit commun à savoir la démonstration de l’existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité ; toutes choses qui ne sont pas faciles à démontrer en cette matière.

Pour ces raisons, il est plus aisé pour le créateur qui veut véritablement tirer profit de son effort intellectuel et de son investissement matériel de protéger sa création en l’enregistrant en bonne et due forme.